La légende du rouge-gorge

 

 

                             Dédié à ma sœur,

                        Madame V. Delavergne.

 

 

                                          I

 

La vile multitude était enfin repue !

Trois gibets dans un jour, un spectacle complet.

Du haut du Golgotha par longs flots descendue,

La foule avait encor les yeux sur le sommet.

Les trois croix balançaient dans l’air leurs trois cadavres,

Dont deux apparaissaient horriblement tordus ;

L’autre était calme et beau. Sentant l’odeur des havres,

Les corbeaux croassaient sur les hauts pics chenus ;

Ils voletaient en rond pour se poser, avides,

Sous le ciel noir frangé de rouge à l’horizon,

Des nuages couraient tempétueux, livides,

Et la terre tremblait de Sion à l’Hébron.

Soudain, voile noir descend sur le Calvaire,

Des cataractes d’eau tombent avec grand bruit ;

On n’aperçoit dans l’ombre, aux éclats du tonnerre,

Que l’éclair déchirant l’épaisseur de la nuit...

Et pourtant ce n’est pas l’heure du crépuscule,

C’est l’heure où la nature est riante au soleil ;

Mais aujourd’hui le jour avec horreur recule

Devant la mort du Juste et du Dieu sans pareil.

Plus de clameurs au loin : de la peur, du silence.

Les morts dans Josaphat sortent de leurs tombeaux,

La terreur est partout ; seulement il s’élance

Quelques soupirs coupés de pleurs et de sanglots.

C’est alors qu’on peut voir les larves, les fantômes

Apparaître et glisser, graves dans leurs linceuls,

Et rentrer au néant... Les animaux, les hommes,

Tout suinte la peur et se cache. On voit seuls

Les trois poteaux dans l’air. . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Enfin, le long déluge

Apaise en un moment sa terrible rigueur !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

– C’est que votre puissance est le souverain juge,

Et votre volonté le seul maître, ô Seigneur !

 

 

                                          II

 

            Plus de nuit, mais une brume

            Qui lentement monte et fume

            Du Jourdain jusqu’au Cédron ;

            C’est l’aube vermeille et blanche

            Qui de sa tunique épanche

            Les roses sur le vallon.

            Cette aurore est un symbole :

            C’est le nimbe ou l’auréole

            Du juste et divin Sauveur.

            Sa lumineuse figure

            Rayonne, et sur la nature

            Répand des flots de splendeur,

            . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

            À la radieuse scène,

            Entonnant sa cantilène,

            Chante un tout petit oiseau.

            – D’où vient-il ? mystère étrange !

            Fauvette grise ou mésange,

            D’où, vient cet hôte nouveau ?

            La poétique fauvette,

            Pendant l’horrible tempête,

            Avait pu, jusqu’à la croix

            Élevant son aile humide,

            Se blottir frêle et timide

            Dans la main du Roi des rois.

            Maintenant elle s’éveille,

            Et pour la divine oreille

            Cherche son plus doux concert :

             « Petite fauvette grise,

            » Je fuis la pluie et la bise,

            » J’ai peur du froid, de l’hiver,

            » À la nature qui pleure,

            » Sur son déclin, à toute heure,

            » J’apporte encor quelque espoir.

            » Mon petit gosier sans trêve

            » Lui chante mon vœu, mon rêve

            » Du matin jusques au soir.

            » On dit que l’espèce humaine

            » Est méchante et se déchaîne

            » Contre l’être inoffensif.

            » N’importe, je lui pardonne ;

            » Au foyer j’accours et donne

            » Les sons de mon chant plaintif.

            » Partout où l’on se désole,

            » À tire-d’aile je vole

            » Pour promettre un meilleur jour.

            » Le fond de mon élégie,

            » C’est, dans mon âme élargie,

            » La pitié, le tendre amour ;

            » Ainsi, par l’horrible orage

            » Qui sévissait avec rage,

            » Sentant ici deuil et mort,

            » Pour porter à la souffrance

            » Une sublime espérance,

            » J’ai pris mon rapide essor.

            » C’est le bon Dieu qui m’envoie :

            » J’apporte repos et joie..,.

            » – Espérez, mon doux humain !

            » Pardon si, la nuit obscure,

            » J’ai réchauffé la blessure

            » Saignante de votre main !!! »

            . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

            Il dit, et biffe sa plume

            Où s’élargit et s’allume

            Un rayon couleur de feu...

            Au soleil chaud il scintille

            D’un beau rouge fin qui brille :

            C’est le sang du fils de Dieu !

            . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

            . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

 

                                          III

 

Ainsi, quand vous verrez aux palais, aux chaumières,

Accourir aux frimas, vers les rigueurs premières,

                     Cet oiseau familier,

En écoutant son chant et plaintif et sévère,

Bénissez l’hôte ami, fauvette du Calvaire,

                     Au tendre et doux gosier.

 

 

                                                              Paris, 8 octobre 1866.

 

 

 

Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.

 

 

 

 

 

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