Saint Martin à Ligugé

 

LÉGENDE.

 

 

Esprit souffrant, cœur affligé,

Âme malade où douleur gronde,

Venez chercher à Ligugé

Un port tranquille, loin du monde.

 

Au milieu des fleurs et des fruits,

Le Clain rêveur coule et murmure.

On entend, les jours et les nuits,

L’orchestre ailé de la nature.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est la vallée où saint Martin,

Las du service militaire,

Vint chercher un meilleur destin,

Honteux du crime de la guerre.

 

Martin donc médité

Que, faux honneur et faux courage,

La guerre, pour l’humanité,

Est le fléau le plus sauvage.

Or, accusé de lâcheté

Et de déserter la carrière,

Il s’élance avec fermeté,

Un des premiers sous la bannière.

 

Obtenant, réhabilité,

Pour prix du sang de sa victoire,

Un grand trésor : la liberté !

Il va chercher une autre gloire....

Pour lui, l’amour seul du prochain

Efface toute barbarie ;

Sa famille est le genre humain,

Le monde entier est sa patrie.

 

En chevauchant, le beau guerrier

Voit un pauvre pris de froidure :

Halte ! et pendant que son coursier

Flaire la triste créature,

Du glaive il coupe son manteau,

Qui laisse briller sa cuirasse,

Puis du drap il donne un lambeau

Au pauvre nu que le froid glace.

 

Comme le bon Samaritain,

Plus loin il guérit la blessure

D’un malade que de sa main

Il mène au pas sur sa monture ;

Et vers un gîte au prompt secours,

Il dit : Soignez bien votre frère ;

Dieu bénit l’âtre et les longs jours

De qui soulage la misère.

 

Sandale aux pieds, et le dos ceint

De peau de chèvre pour chlamyde,

À Ligugé le nouveau saint

Fixa sa belle thébaïde ;

Avec des joncs et de l’osier

Entrelacés sur des platanes,

Le chèvrefeuille et le rosier

Se transformèrent en cabanes.

 

Et là, tout plein d’humilité,

Dans le jeûne et dans la prière,

Il enseigna l’égalité

Et les devoirs du frère au frère.

Près de l’ermite généreux

Accoururent des cœurs d’élite ;

Sa doctrine fit des heureux,

Et gagna plus d’un prosélyte.

 

Mais les honneurs, hélas ! un jour,

Durent s’abattre sur sa tête ;

Il fallut quitter son séjour,

Sortir de sa douce retraite.

Hilaire vint, et sans détours

Lui dit : « Dieu bénit ta parole,

» Il te fait le pasteur de Tours,

» Te voici la mitre et l’étole. »

 

Oh ! bien souvent, dans les grandeurs,

Il dut regretter sa vallée,

Sa tonnelle où les fruits, les fleurs

Pendaient en grappe échevelée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sa mémoire encore en ce lieu

Est toujours chère et vénérée,

Et du bon saint, comme de Dieu,

La douce image est adorée.

 

Esprit souffrant, cœur affligé,

Âme malade où douleur gronde,

Venez chercher à Ligugé

Un port tranquille, loin du monde.

 

 

 

Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.

 

 

 

 

 

 

 

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