Le hêtre au crucifix

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Léon de VESLY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

APRÈS quelques pourparlers, mon cicérone, devenu mon ami, consentit à me conduire pour visiter le Hêtre au Crucifix.

Nous nous acheminons vers la forêt de Bord par la route qui, de Tôtes, conduit au Pont-de-l’Arche. Le chemin suit d’abord des clos bordés de haies ; on traverse des champs chargés de moissons, essarts faits par les moines de Bonport dans les forêts de Bord et de Louviers, vaste plaine qui les limite et les sépare aujourd’hui.

À l’orée de la forêt de Bord, la route décrit une grande courbe pour contourner, à travers des taillis, le vallon du Fond-du-Trésor. C’est au creux de cette gorge que se trouve le Hêtre au Crucifix, un arbre à légende.

On prétend que sa cime abrite un crucifix doré, mais placé à un point si élevé qu’on ne peut l’apercevoir. Un seul est visible : c’est le petit crucifix argenté, fixé sur une croix de fer et placé dans une cavité creusée dans l’écorce de l’arbre, niche que la végétation a rétrécie et qui a fait l’écorce prisonnière.

L’arbre du trésor est le rejeton, la « cépée », d’une souche qui mesure plus de deux mètres de diamètre ; lui-même atteint trois mètres quatre-vingts de tour. Il paraît être un « témoin » pour les forestiers, qui ne pourront le conserver longtemps car, malgré les soins dont ils l’entourent, nul printemps ne fera plus éclore ses bourgeons ni reverdir son feuillage : l’arbre est mort et sera bientôt livré aux bûcherons.

La légende y perdra du mystérieux puisqu’elle rapporte que, l’administration forestière ayant vendu, il y a bien longtemps de cela, le Hêtre au Crucifix, les bûcherons ne purent l’abattre. C’est en vain qu’ils le frappaient de leurs cognées : leurs outils cassaient, les coins se brisaient, les dents de la scie s’émoussaient sur l’écorce de l’arbre... Depuis cette époque, il fut respecté de tous et est l’objet de la vénération des habitants des paroisses environnantes, qui viennent, chaque année, le jour de Pâques fleuries, apporter des rameaux pour orner le tronc de l’arbre séculaire.

 

 

 

Léon de VESLY,

« Légendes, superstitions et vieilles coutumes »,

Bulletin de la société libre d’émulation de commerce

et de l’industrie de la Seine inférieure,

t. IV, Rouen, 1901-1902.

 

Recueilli dans : Histoires et légendes

de la Normandie mystérieuse, textes recueillis

et présentés par Patrice Boussel,

Tchou, 1970.

 

 

 

 

 

 

 

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