La Visitation
En ces jours-là,
Notre-Dame s’en alla
Vers la Judée.
Sa jeune âme était inondée
Des bienfaits infinis d’En-haut.
La nature sortait du nocturne repos.
Dans l’air planait une colombe.
Tout souriait. Même les tombes
Avaient un air d’attendre et d’espérer
La mort du mal, la fin du viager
Et le rayonnement d’une paix éternelle.
Marie aperçut la margelle
Du puits,
Le seuil du logis,
La terrasse
Basse,
Le rucher,
Le verger,
Des roses
D’incarnat
Moins rose,
De moins vif éclat
Que sa joue,
Sur une motte la houe,
Et, s’épanchant
À torrents
De l’abîme du ciel bleu,
La bénédiction de Dieu.
Marie
Franchit le seuil de Zacharie.
Élisabeth était là.
La Vierge la salua
D’un mot tendre et d’un sourire
Où toute la splendeur du jour se refléta.
Les colonnes des cieux sur leurs bases frémirent.
Et dans le sein d’Élisabeth
L’enfant que le monde attendait,
L’enfant, précurseur du Messie,
Bondit vers le sein de Marie.
D’une voix qui répercutait,
Immense, sonore, profonde,
Jusques aux confins du vieux monde,
La voix divine de l’Esprit,
Élisabeth reprit
Ces mots par l’Ange déjà dits :
« Salut à vous, Vierge Marie,
Sous le regard du Ciel, ô Rose épanouie !
Dieu lui-même vous a choisie,
Et béni votre Fils comme Il vous a bénie.
La séculaire épreuve avec vous est finie.
Mais pour moi-même quel honneur
Que la Mère de mon Seigneur
Ait quitté Nazareth et vienne
Abriter sous notre toit
Le Seigneur, le Maître, le Roi,
Le Dieu que ne contiennent
Qu’à peine
Le ciel et l’espace infini !
Ma maison déborde de joie
À voir entrer Celui que notre Dieu m’envoie.
Mon jardin exulte. Les nids
Comme mon cœur palpitent.
En mon sein rajeuni s’agite
Et tressaille et bondit
Mon enfant tout rempli du souffle de l’Esprit. »
Alors éclata le cantique
Unique,
Le cantique parfait qui n’aura pas de fin.
La Vierge joignant les mains
Dans l’air suave du matin
Fit retentir ces mots divins :
« Ciel et mer, écoutez. Terre, reste muette.
Ouvre-toi, mon âme, ouvre-toi
Pour contenir le ciel et Celui qui t’a faite.
Ô mon âme, exalte ton Roi.
« Il m’a vue à ras de l’herbe
De si loin et de si haut !
Il a cueilli le lys à peine éclos
Et j’enfanterai le Verbe.
Le Très Grand,
Le Très Puissant,
S’est épris de ma faiblesse
Et de ma bassesse.
Il aime les petits.
Il aime ce qui se blottit
Loin du bruit,
Dans la pénombre où rien ne luit,
L’obscure vertu de celui
Que jamais personne ne vante,
Et le néant de sa servante.
Le long désir de l’homme est enfin assouvi.
Le Seigneur a tenu ce qu’il avait promis.
Il l’a tenu par moi, il le tient par son Fils,
Qui dans mon sein repose.
En moi le Tout-Puissant a fait de grandes choses.
Ô mon âme, exalte ton Roi.
Ouvre-toi, mon âme, ouvre-toi
Pour contenir le ciel et Celui qui t’a faite.
Terre, ne reste plus muette.
Jubile et tressaille avec moi.
L’ère douloureuse est passée.
Chante la vertu du Seigneur.
Égoutte-toi, fraîche rosée,
Je vais enfanter le Sauveur. »
José VINCENT,
Parlez... Seigneur !
Recueilli dans Rosa mystica :
Les poètes de la Vierge,
du XVe au XXe siècle, s. d.