La légende de la sainte chandelle d’Arras
contre le mal des ardents
par
Maurice VLOBERG
Deux ménestrels s’étaient connus, aimés, puis haïs, car l’un d’eux, Pierre Norman, avait tué le frère d’Itier, l’autre compagnon. Ils s’évitaient comme bêtes sauvages, allant leur chemin l’un à l’envers de l’autre ; Itier habitait pour lors au pays de Brabant, et Norman en la terre de Saint-Pol-en-Tardenois. La distance pourtant était moins grande qu’entre leurs cœurs remplis de haine.
Et Notre-Dame en eut pitié, Elle apparut à chacun, au propre lieu où chacun se trouvait, et voulut bien les prendre tous deux comme messagers. Ils auraient à mander à l’évêque Lambert qu’elle se montrerait en son église dans la nuit du samedi au dimanche suivant, et qu’elle tiendrait en sa main, pour le lui donner, le plus précieux des cierges du Paradis ; des gouttes de cette cire mêlée à l’eau, il ferait un baume rafraîchissant pour tous les Feux-Dieu.
Les jongleurs crurent avoir rêvé ou être gens hors de sens. Ils se tinrent cois et sans bouger. Mais, derechef, et cette fois courroucée, la haute Dame leur ordonna une prompte obéissance, sinon ils seraient frappés du feu maudit. Ils ne tardèrent pas davantage et chacun prit sa voie vers Arras, la bonne cité.
Le plus près arriva le premier, et le second ensuite, qui redit au pasteur ce qu’il savait déjà par le premier héraut. Lambert est prudhomme et cherche le conseil du Saint-Esprit. Il sait la rage mortelle qui divise les deux joueurs de viole. Il les réunit et les voilà qui deviennent comme des agneaux sous la toison de la brebis mère ; ils s’embrassent et se pardonnent par la grâce de la très douce Marie.
Ce grand miracle annonçait le plus grand. L’évêque, avec Norman et Itier, s’en fut prier à son église cathédrale. Au premier chant du coq, la dame belle comme l’aurore descendit du plus haut de la voûte du chœur un cierge ardent dans la main. Le saint pasteur tendit la sienne pour le recevoir, mais il est trop hâtif en son désir. Notre-Dame l’aimait bien, mais, comme l’a dit son Fils Jésus, elle a plus de joie des pécheurs qui viennent à repentance. Et, en signe de sa liesse, elle fit une courtoisie à sa guise et donna la sainte Chandelle aux deux compagnons qui s’étaient remis en charité chrétienne.
Maurice VLOBERG,
Les Fêtes de France, 1936.
Recueilli dans Florilège de Notre-Dame,
textes réunis par Renée Zeller,
Éditions de l’Arc, 1947.