La légende du jongleur

Pierre de Sygelair à Rocamadour

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maurice VLOBERG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ménestrel de grand renom, il chantait volontiers, à travers villes, bourgs et villages, les lais de la Mère du Sauveur. Tout en jouant et chantant, il arriva en pèlerinage à Roc-Amadour. Il fit d’abord sa génuflexion devant l’image de Notre-Dame, puis, pour mieux l’honorer, fit sentir l’archet aux cordes de la vielle. Tous accourent et font cercle ; et Pierre, qui voit toutes ces oreilles tendues, vielle si bien qu’il semble que sa vielle veuille parler. Quand il eut salué et loué de tout cœur la gente Princesse, il lui fit cette demande à haute voix :

 

                Pour faire feste à mon souper,

                Un de tes biaux cierges m’envoie.

 

Et Notre-Dame l’entendit, car aussitôt un cierge glisse jusque sur la vielle ; un très beau cierge, le mieux fait de l’autel. Mais un moine gardait en ce moment le moutier. Il prit Pierre pour un enchanteur, et la glissade du cierge pour un sortilège. Tout grommelant, il reprit le cierge à l’escamoteur et le replaça en haut. Mais le jongleur juge ce moine mauvais et fou, et comprend que Notre-Dame l’a entendu. De nouveau son archet soupire et pleure, et derechef la blanche cire descend sur sa vielle. Et derechef aussi accourt le moine frénétique, qui arrache le cierge au jongleur et lui dit :

« Simon le Mage sera bien peu malin auprès de toi, si tu réussis maintenant à déloger le cierge de là-haut et à le faire tenir aval. » Et il refixe solidement le cierge au chandelier.

Une troisième fois, Pierre recommence sa chanson, car il sait que Notre-Dame achèvera au mieux cette affaire. Sa vielle chante si bien et d’un cœur si haut que jusqu’à Dieu s’en va le chant. Et vers le ménestrel le cierge fit un troisième saut. Tous, grands et petits, sont ébahis, et chacun crie : « Sonnez ! sonnez ! » Dans le moutier on fait si grande fête et tant de cloches s’en vont sonnant qu’on n’y pourrait entendre Dieu tonner. Pierre offrit son cierge à l’autel de la belle image. Puis, vaillant et sage, il revint chaque année, tant que sa vie dura, offrir à la benoîte Mère un très beau cierge d’une livre.

 

 

 

Maurice VLOBERG,

Les Fêtes de France, 1936.

 

Recueilli dans Florilège de Notre-Dame,

textes réunis par Renée Zeller,

Éditions de l’Arc, 1947.