Nous sommes sept

 

 

Écrit à Alfoxden au printemps de 1798.

La petite fille qui en est l’héroïne, je l’avais

rencontrée près du château de Goodrich en 1793.

 

 

                          Un enfant innocent,

Qui respire allègrement

Et sent sa vie dans tous ses membres,

Que peut-il connaître de la mort ?

 

Je rencontrai une petite paysanne ;

Elle avait huit ans, d’après son dire ;

Ses cheveux étaient lourds de boucles

Qui faisaient grappe autour de sa tête.

 

Elle avait un air campagnard, forestier,

Et elle était bizarrement vêtue ;

Ses yeux étaient beaux, très beaux ;

Sa beauté me faisait plaisir.

 

– Frères et sœurs, petite fille,

Combien donc êtes-vous ?

– Combien ? Sept en tout, dit-elle,

Et me regarda d’un air étonné.

 

– Et où sont-ils, dis-moi ? –

Elle répondit : – Nous sommes sept,

Il y en a deux qui habitent à Conway,

Et deux qui sont partis en mer.

 

Il y en a deux qui sont couchés au cimetière,

Ma sœur et mon frère ;

Et dans la chaumière voisine du cimetière

J’habite près d’eux avec ma mère. –

 

– Tu dis que deux habitent à Conway

Et que deux sont partis en mer.

Pourtant vous êtes sept. Dis-moi,

Chère enfant, comment cela peut se faire. –

 

Alors la petite fille répondit :

– Nous sommes sept, garçons et filles ;

Il y en a deux qui sont couchés au cimetière,

Sous l’arbre du cimetière.

 

– Tu cours de ci de là, petite fille,

Et tu es bien vivante ;

S’il y en a deux couchés au cimetière,

Alors vous n’êtes plus que cinq. –

 

– Leurs tombes sont vertes, on peut les voir,

Répondit la petite fille ;

À environ douze pas de la porte de maman.

Elles sont l’une à côté de l’autre.

 

Souvent j’y vais tricoter des bas

Ou bien ourler des mouchoirs ;

Je m’assieds par terre

Et je leur chante une chanson.

 

Et souvent après le coucher du soleil, monsieur,

Quand il fait beau temps clair,

C’est là que j’emporte ma petite écuelle

Et que je mange ma soupe.

 

La première qui mourut, ce fut ma sœur Jeanne ;

Elle gémissait dans son lit,

Mais Dieu la délivra de ses peines,

Et alors elle s’en alla.

 

Donc nous la couchâmes au cimetière ;

Et quand l’herbe était sèche,

Ensemble nous allions jouer près de sa tombe,

Mon frère Jean et moi.

 

Et quand le sol devint blanc de neige

Et que je pus courir et glisser,

Mon frère Jean lui aussi dut s’en aller

Et il est couché à côté de ma sœur. –

 

– Alors combien êtes-vous, lui dis-je,

S’il y en a deux au paradis ?

Et aussitôt la petite de répondre :

– Oh ! monsieur, nous sommes sept. –

 

– Mais ils sont morts, il y en a deux qui sont morts.

Leur âme est au ciel. –

C’était parler en l’air ; toujours

La petite fille tenait à son idée

Et répétait : – Non, nous sommes sept. –

 

                                                                   1798.

 

 

 

William WORDSWORTH.

 

Recueilli dans Les romantiques anglais,

traduction de Pierre Messiaen,

Desclée De Brouwer, 1955.

 

 

 

 

 

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